Le dimanche 5 avril 2020, la voix de la présidente de la Région Ile-de-France tapissait une stratégie avant-gardiste qu’elle menait seule afin d’éradiquer le Covid-19. Elle répondait ainsi aux substantielles inquiétudes de ses électeurs.

«  Nous avons eu l’intuition que les masques pouvaient sauver des vies ». « Tous ceux qui ont eu le virus sont, je crois, immunisés et pourront aller travailler ». «  J’ai pris la décision de commander des masques ». Le courage à l’état pur d’une décision prise sans la moindre concertation. Un risque politique méritant en période de confinement sanitaire.

Naturellement, sans être irénique, notre instinct de survie devrait nous interpeller et nous suggérer de réétudier nos convictions et certitudes. Engager un déconfinement ou se reprendre une déconfiture dès le 11 mai ?

Même avec le ton moins martial d’un autre président, la peur de l’ennemi invisible nous autoriserait à demander aux salariés s’ils ont, s’ils ont eu ou s’ils envisageraient d’avoir, dans un futur proche, le Covid-19.

Il y a quelques jours, un talentueux aérolithe télévisuel de l’expertise médicale disait encore que ce virus pouvait provoquer, exceptionnellement et selon l’alignement des planètes, une encéphalite nécrosante cérébrale. Il n’en fallait pas plus pour nourrir notre hypocondrie la plus refoulée et nous délester de nos droits fondamentaux.

Le Coronavirus était une atteinte prévisible à nos libertés 1. Un motif raisonnable de paniquer 2.

Les lumières de l’article L.4122-1 du Code du travail imposent aux salariés de « prendre soin […] de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». Ne soyez donc pas égoïste et partagez votre suspicion de contact avec le virus. Il n’y aura point de vindicte publique, ni de procédure d’ostracisme humiliante : dénoncez et dénoncez-vous !

L’employeur ne saurait régulièrement collecter des informations sur l’état de santé de ses préposés comme sonder leur température. Cela engendrerait des situations extrêmement gênantes.

En cas de signalement, l’employeur devra en informer le médecin du travail, prévenir de l’existence d’un « cas contact » et prendre les mesures organisationnelles nécessaires afin de préserver la sécurité et la santé de tous. Les autorités sanitaires pourront ensuite engager les actions permettant de circonscrire une éventuelle source de contamination. Des procédures similaires existent déjà pour les cas de salariés testés positifs à la tuberculose et dont l’action est gérée par le Centre de lutte anti-tuberculose (CLAT). Cependant, l’efficacité d’un tel dispositif n’est que relative lorsque l’on connait aujourd’hui les résultats des agences régionales de santé (ARS) pour contenir l’invasion d’un virus extrêmement contagieux. Il faut donc multiplier les outils.

L’ordonnance 2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire prévoit notamment que les médecins du travail pourront faire passer des tests de dépistage. Ils pourront également renouveler les arrêts de travail en cas d’infection ou de suspicion d’infection au Covid-19.

Nous pourrions aussi nous abandonner aux nouvelles technologies.

Le 5 avril 2020, alors invité du 20 heures de France 2, Christophe Castaner se disait favorable au tracking à visée médicale. Effectivement, pour ce chevronné en accompagnement de divorces et de séparations, il était nécessaire d’en préciser l’objectif. Il eut été préjudiciable que son discours soit mal interprété.

La technologie Bluetooth, en hommage à Harald Ier Blåtand, amoureux des myrtilles et connu pour avoir unifié les tribus danoises, est envisagée pour tous nous sauver. Elle permettra, sur la base affichée du volontariat, de tracer les éventuelles contaminations au Covid-19. Selon l’article 6.1 du RGPD, le consentement n’est pourtant pas obligatoire lorsqu’il est question de la « sauvegarde des intérêts vitaux de la personne » ou lorsque le traitement est « nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ».

Le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) aura pour mission d’accompagner cette réflexion sur cette stratégie numérique d’identification des personnes infectées. Le sujet est culturellement sensible. La France ce n’est ni Taïwan, ni la Corée du Sud.

Le traçage numérique installé sur votre téléphone portable (GSM ou Natel), vous attribuera un identifiant unique. Le système Bluetooth, mesurant l’intensité d’un signal d’un autre téléphone, enregistrera les identifiants des cas contacts. Lorsque l’autorité sanitaire traitera un cas confirmé ou suspecté de Covid-19, tous les contacts répertoriés sur le téléphone recevront une notification.

Nous imaginons déjà la scène de ce parent qui reçoit le SMS alors que vient de s’endormir paisiblement sa progéniture fatiguée par les multiples tentatives quotidiennes de rébellion. « Vous avez été trop proche d’une personne infectée du Covid-19. Merci de nous contacter entre 9 heures 30 et 12 heures et de 13 heures à 15 heures du mardi au jeudi. Désolé. Bonne nuit. Signé Harald Ier Blåtand ».

Déboussolé, le parent repensera nécessairement à cette note de l’administration, non celle instituant le Service du Travail Obligatoire, mais celle de la direction générale de l’administration et de la fonction publique du 23 mars dernier lui rappelant que « tout agent public qui refuserait d’aller au travail ou qui abuserait du droit de retrait s’exposerait à des sanctions pouvant aller jusqu’à la révocation ».

Si seulement nous avions su…

Espérons qu’une simple question ne nous conduise pas à la dystopie 3.

Richard Wetzel, Avocat Associé

 

1 – https://www.legipass.com/le-coronavirus-une-atteinte-previsible-a-nos-libertes/

2 – https://www.legipass.com/de-ladmiration-pour-la-loi-a-lirrationnel/

3 – Idée de lecture pour l’hiver – 1984, de George Orwell