Artmedia est une agence artistique française créée par Gérard Lebovici en 1970. Bertrand de Labbey de La Besnardière en pris les rênes en 1990 jusqu’au 1er février 2016, laissant sa place à une nouvelle ère, une nouvelle direction, une nouvelle destinée. Il restera toutefois à la tête de la filiale VMA (pour Voyez Mon Agent). Relation mère-fille c’est fini, place désormais à la concurrence.

L’agence artistique fut notamment en charge des intérêts de Jean Rochefort, Catherine Deneuve, Jean-Paul Belmondo, Audrey Tautou, Gérard Depardieu ou encore Sophie Marceau.

Le 1er mars 1986, fut signé l’Acte Unique Européen qui élargissait les compétences de la CEE en vue de la préparation du Marché unique. Vous me direz quel est le rapport ? Et si pourtant ! Le même jour, il fut signé un contrat de travail à durée indéterminée entre la société Artmédia et une sténodactylographe. Socrate lui-même avait Xénophon pour retranscrire ses paroles. Puis, par avenant du 23 janvier 2001, c’est-à-dire en pleine affaire Dumas, elle devint assistante administrative.

Elle accompagna ainsi l’épopée de la société et son dévouement professionnel ne fut jamais remis en cause.

Et comme évoqué par le dramaturge, au 1er février 2016, nouvelle direction et au 19 février, convocation à un entretien préalable à licenciement pour motif économique. La salariée accepta le contrat de sécurisation professionnelle le 2 mars, soit le jour de son entretien.

L’assistance administrative saisissait cependant le conseil de prud’hommes de Paris aux fins de contester le motif prétendument économique de son licenciement. Le Conseil l’estima fondé par jugement du 4 juillet 2018.

Pourtant, elle poursuivit son action et la Cour d’appel de Paris1 infirma ce jugement et condamna la société à lui payer la somme de 75.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral lié aux conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel ne fut pas un public conquis par les belles démonstrations rhétoriques relatives à la perte de compétitivité. Nous nous retrouvons donc avec une rupture du contrat de travail après 30 ans de bons et loyaux services sans explications, en tout cas juridiques.

Les circonstances du licenciement ont fait l’objet d’un contrôle, le premier verrou de la cause réelle et sérieuse ayant déjà cédé. La salariée est fondée à obtenir des dommages-intérêts distincts de l’indemnité, non encore encadrée par un barème, lorsque la rupture revêt un caractère vexatoire. Or, « elle a quitté l’entreprise sans les égards dus à une salariée ayant 30 ans d’ancienneté, ce qui constitue une source d’humiliation ainsi qu’un préjudice moral incontestables ».

Dans les faits, sa direction avait attendu le vendredi soir pour lui annoncer qu’elle ne reviendrait plus dès le lundi prochain, ce qu’elle refusa par conscience professionnelle. En effet, devant un employeur bienheureux, elle mit ses dossiers en ordre et quitta la caverne2 le jeudi suivant sans que l’entreprise ait recours à la puissance publique et sans que le personnel ne puisse se réunir autour du verre de l’amitié comme il en est d’usage dans l’entreprise.

Nous n’avons pas atteint le niveau du « name and shame » mais vous faire sortir par la petite porte après 30 ans, c’est humiliant. L’humain n’est pas une variable d’ajustement de la flexibilité.

Reste à savoir à partir de quel moment vous avez le droit au pot de départ et surtout à quel moment vous le proposer ? Après l’entretien préalable ? Mais l’employeur n’a encore pris aucune décision définitive. Il ignore d’ailleurs si la salariée va signer le contrat de sécurisation professionnelle. Faut-il également le proposer par simple précaution afin de se prémunir des conséquences d’une action en contestation de la mesure de licenciement ? Avec un budget de 5.000 €, il y a de quoi faire une belle fête. Certes, cela pourrait éveiller les soupçons sur les prétendues difficultés de l’entreprise. Quel casse-tête et surtout quel moment de solitude pour l’employeur qui doit faire les louanges d’une collaboratrice que l’on prive d’emploi et dont le sort pourra être partagé par les autres collègues de travail. Pas évident de briser la glace. Il n’est pas certain que la phrase de l’employeur : « Vous prendrez bien un verre avant de partir ? C’est la maison qui régale 3» ne soit pas prise comme une circonstance vexatoire impliquant un préjudice moral incontestable.

J’avais connu une cliente qui fut convoquée pour un licenciement économique. Elle avait 19 ans d’ancienneté et l’entretien se tenait le jour du mariage de sa fille unique. L’employeur avait préalablement accepté son absence enregistrée en « journée familiale ». La convocation fut un véritable coup de théâtre. Le caractère vexatoire fut caractérisé ne serait-ce que par le fait que son absence fut gravée, pour la postérité, sur tous les films et photos du mariage où elle n’apparaitra jamais.

Il semblerait que le seul fait de licencier une personne ayant 30 ans d’ancienneté sans aucun motif ne soit pas suffisant pour caractériser la circonstance vexatoire. D’ailleurs, est-ce que cet argumentaire pourrait être développé pour un salarié démissionnaire après 30 ans et contraint de subir le même sort ? A la lecture de la solution, la réponse semble être positive car il s’agit des « circonstances vexatoires ayant entouré la rupture du contrat de travail ».

Quoiqu’il en soit, la position de la Cour d’Appel de Paris fut logique et sans surprise car, autrement composée, elle avait déjà condamné pour le même montant une salariée accumulant 27 ans d’ancienneté auprès de la même entreprise. Elle l’avait quittée, après une invitation qu’elle ne pouvait pas refuser, sans préavis et dans les mêmes conditions qu’une sanction disciplinaire. En outre, elle s’était vu interdire l’accès à l’entreprise. Elle n’avait pas eu l’occasion de saluer ses collègues de travail face à l’empressement de l’employeur de la voir s’éloigner. Cela constitue une « source d’humiliation et un préjudice moral incontestables » pour la salariée. (CA Paris, Pôle 6 – chambre 5, 25 novembre 2021, RG n°19/05909). L’histoire ne nous dit pas si le bouchon de champagne l’avait rattrapée dans la rue.

Prudence est mère de sûreté et à la vôtre !

Richard Wetzel, Avocat Associé

1 Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – chambre 8, 7 juillet 2022, n°19/08849.

2 En référence à l’allégorie de la caverne de Platon

3 L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.